ombres et lumieres 4.pdf
Nom original: ombres et lumieres 4.pdf
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Les Beaux – Arts de Marseille, Luminy, le 4 mai 2020,
Bonjour,
Vous trouverez la suite du cours « Ombres et lumières », N° 4.
Tel que je peux m’efforcer de traduire par écrit les couleurs et leurs nuances…
On trouve dans l’ouvrage de Fromentin un plaisir certain de la lecture qui me semble
renforcé par la description précise des toiles, peintures faites écritures, cheminement
d’une teinte à l’autre. Il nous semble ici intéressant de relever la fréquence dans un
discours critique sur la peinture, des adjectifs et des éléments qualifiants les teintes et
leurs nuances, en un mot des descriptions de couleurs, comme autant de passage
qualifiant, dénotant un espace plastique au sein même de l’écriture et de la littérature.
Nous n’en relèverons que quelques exemples : « (…) ne voyez que le cheval blanc qui se
cabre sur un ciel blanc, la chape d’or de l’évêque, son étole blanche, les chiens tachés de
noir et blanc, quatre ou cinq noirs, deux toques rouges, les faces ardentes, au poil roux et
tout autour, dans le vaste champ de la toile, le délicieux concert des gris, des azurs, des
argents clairs ou sombres et vous n’aurez plus que le sentiment d’une harmonie
radieuse, la plus admirable peut-être et la plus inattendue dont Rubens se soit jamais
servi pour exprimer ou si vous voulez, pour faire excuser une scène d’horreur ».
Les précisions de couleurs sont les véritables illustrations (lumière, enluminure) du
texte en même temps que son support, formulant à mon sens, une sorte de « vérité » de
l’approche critique pour reprendre les termes de l’ouvrage de Jacques Derrida. Une
attention sensible, sensorielle et pour dire esthétique aux ouvrages de l’art.
Citons encore sur le même registre la description suivante : « La toile est sombre malgré
ses clartés et l’extraordinaire blancheur du linceul. Malgré ses reliefs, la peinture est
plate. C’est un tableau à base noirâtre sur lequel sont disposées de larges lumières
fermes, aucunement nuancées. Le coloris n’est pas très riche ; il est plein, soutenu,
nettement calculé pour agir de loin. Il construit le tableau, l’encadre, en exprime les
faiblesses et les forces, il ne vise point à embellir. Il se compose d’un vert presque noir,
d’un noir absolu, d’un rouge un peu sourd et d’un blanc. Ces quatre tons sont posés bord
à bord aussi franchement que peuvent l’être quatre notes de cette violence. Le contact
est brut et ne les fait pas souffrir. »,
La critique de Fromentin est aussi un plaisir, une sorte de voyage à travers les pays,
caractérisant et caractérisés par leurs œuvres. Fromentin dans Les Maîtres d’autrefois
met au point une sorte de critique - fiction ou un romanesque – témoignage formant les
atours des paysages et de leurs tableaux.
Remémorons nous à cet instant l’exposé de Meyer Schapiro dans « Style, artiste et
société », notamment cette méthode critique, sensitive et en lisière de l’histoire
d’Eugène Fromentin :
« Comme le récit de voyage, il suit un itinéraire, et il rapporte ce qui a fait impression
sur Fromentin et ce qui l’a émut au cours d’un voyage dans l’été de 1875. A quoi s’ajoute
quelques pages de théories d’une belle vigueur, car les principes y sont en jeu et des
excursions dans l’histoire et dans l’esthétique. Il propose des images précises des
grandes formules de l’art. Enfin, c’est plus ou moins un journal intime, avec ses aveux,
ses hésitations, ses enthousiasmes et ses regrets : l’artiste monologue sur ce qu’il a vu et
ressenti. ».
Nous voici bien loin d’une sécheresse critique qui isolerait et abîmerait son sujet : les
tableaux sont mis en situation. Ils éclairent le pays comme le pays les éclaire.
Ainsi : « Rien qu’à voir ici les habitations en lanterne où les vitres tiennent autant de
place et ont l’air d’être plus indispensables que la pierre, les petits balcons
soigneusement et pauvrement fleuris et les miroirs fixés aux fenêtres, on comprend que
dans ce climat l’hiver est long, le soleil infidèle, la lumière avare, la vie sédentaire et
forcément curieuse ; que les contemplations en plein air y sont rares, les jouissances à
huit clos très vives, et que l’œil, l’esprit et l’âme y contactent cette forme d’investigation
patiente, attentive, minutieuse, un peu tendue, pour ainsi dire clignotante, comme à tous
les penseurs hollandais, depuis les métaphysiciens jusqu’aux peintres. (Pensez à
Vermeer de Delft et notamment les « lectrices des lettres »).
Cette réflexion sur la lumière intérieure et extérieure est un des charmes au sens fort du
terme que nous trouvons dans les écrits de Eugène Fromentin, sa volonté critique
d’écrire et de décrire le problème et la place de la couleur en peinture. L’importance de
la couleur révèle une véritable pensée du monde, elle est chargée d’attention, aux
confins des pratiques artistiques elle en révèle une forme essentielle mais également un
tournant historique, le rapport entre la photographie et la photographie étant en train
de s’établir, citons ce livre encore : « La photographie quant aux apparences des corps,
l’étude photographique quant aux effets de la lumière ont changé la plupart des manière
de voir, de sentir et de peindre. A l’heure qu’il est la peinture n’est jamais assez claire,
assez nette, assez formelle, assez crue. Il semble que la reproduction mécanique de ce
qui est soit aujourd’hui le dernier mot de l’expérience et du savoir, et que le talent
consiste à lutter d’exactitude, de précision, de force imitative avec un instrument ».
On pourra se référer au catalogue de l’exposition Gustave Courbet, Paris, New York,
Montpellier, 2008, ainsi que Eugène Boudin, L’atelier de la lumière, musée d’art moderne
André Malraux, Le Havre, 2016, pour argumenter ce débat. « Si vous avez eu quelques
fois le loisir de faire connaissances avec ces beautés météorologiques, vous pourrez
vérifier par mémoire l’exactitude des observations de M. Boudin. » (Charles Baudelaire,
Salon de 1859)
Eugène Fromentin, son approche mentale, le fera prendre position contre la peinture en
plein air : « Le paysage fait tous les jours plus de prosélytes qu’il ne fait de progrès. Ceux
qui le pratiquent exclusivement n’en sont pas plus habiles ; mais il est beaucoup plus de
peintres qui s’y exercent. Le plein air, la lumière diffuse, le vrai soleil, prennent
aujourd’hui, dans la peinture et dans toutes les peintures, une importance qu’on ne leur
avait jamais reconnue, et que, disons le franchement, il ne mérite point d’avoir. » Une
fois encore l’enjeu luminescent est posé.
On ne saurait passer sous silence l’écriture des couleurs, précise, subtile et violente
extraite de la correspondance de Vincent Van Gogh. Dans ces lettres, le peintre fait de
nombreuses allusions à la couleur, il rend aussi hommage à l’ouvrage d’ Eugène
Fromentin : « J’ai lu avec plaisir Les Maîtres d’autrefois, de Fromentin ; en différents
endroits de ce livre, j’ai encore vu traiter les mêmes questions qui m’ont beaucoup
préoccupé ces derniers temps et auxquelles, à la vérité, je ne cesse de penser, surtout
depuis la fin de mon séjour à La Haye : ce sont des choses dont j’avais entendu dire
qu’Israëls les avaient dites. C’est : qu’il faut commencer à peindre dans une échelle de
tons mineurs, et donner des valeurs relativement claires avec des tons gris. En somme :
exprimer la lumière par opposition à des tons sombres. Je sais tout ce que tu veux dire
par « trop noir » ; mais d’autre part, je ne suis pas encore tout à fait convaincu que, pour
ne parler que d’une chose, un ciel gris doive être peint dans le ton local. » (Vincent Van
Gogh, Correspondance complète, Tome II, Paris, Gallimard / Grasset, 1960, p. 347)
On trouvera une autre éloge dans la lettre du 10 septembre 1889 à son frère Théo :
« Quel grand homme que Fromentin – lui pour ceux qui voudront voir l’Orient restera
toujours le guide. Lui le premier a établi des rapports entre Rembrandt et le Midi, entre
Potter et ce qu’il voyait. »
L’emblème de cette recherche est évidemment la couleur jaune, j’extrait de cette même
correspondance deux passages qui me semble définir à souhait les qualités et le pouvoir
d’une écriture coloriante pour Vincent Van Gogh : « Une autre toile représente un soleil
levant sur un champ de blé jeune blé ; des lignes fuyantes, des sillons montant haut dans
la toile, vers une muraille et une rangée de colline lilas, le champ est violet et jaune-vert.
Le soleil blanc est entouré d’une grande auréole jaune. Là-dedans j’ai, par contraste à
l’autre toile, cherché à exprimer du calme, une grande paix (…) As-tu vu de moi avec un
petit faucheur, un champ de blé jaune et un soleil jaune ? Ca n’y est pas, et pourtant la
dedans j’ai encore attaqué cette diable de question du jaune. Je parle de celle qui est
empâtée et faite sur place et non de répétition à hachures où l’effet est plus faible. Je
voulais faire cela en plein soufre. » (Correspondance complète, ouvrage cité, Tome III,
p.414 et 415).
Quelques lignes de Gaston Bachelard suffiront avec respect et tendrement (extrait de Le
Droit de rêver) : « Un jaune de Van Gogh est un or alchimique, un or butiné sur mille
fleurs, élaboré comme un miel solaire. Ce n’est jamais simplement l’or du blé, de la
flamme, ou de la chaise de paille : c’est un or à jamais individualisé par les interminables
songes du génie. Il n’appartient plus au monde, mais il est le bien d’un homme, la vérité
élémentaire trouvée dans la contemplation de toute une vie. »
Vincent Van Gogh à nouveau : « Dans un tableau je voudrais dire quelque chose de
consolant comme une musique. Je voudrais peindre des hommes et des femmes avec je
ne sais quoi d’éternel, dont autrefois le nimbe était le symbole, et que nous cherchons
par le rayonnement même, par la vibration de nos colorations. »
Extrait de l’Anthologie des écrits sur l’art, (Lumière et morale) de Paul Eluard, Editions
Cercle d’art, Paris, 1987.
Vous trouverez à fin d’illustrer ce cours : Vincent Van Gogh, Les couleurs de la nuit,
Editions Actes Sud, 2008,
Turner, La vie et les chefs d’œuvres, Eric Shanes, 2004,
Vermeer et les maîtres de la peinture de genre, Editions d’art Somogy, Louvre Editions,
2017,
En vous souhaitant une agréable lecture.
Frédéric Appy
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